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A mots découverts

A mots découverts

Chroniques au fil de l'actualité

Alain Rey

462 pages, parution le 07/09/2006

Résumé

Pendant des années, Alain Rey a enchanté les matins de France Inter avec son mot du jour, une chronique érudite, parfois espiègle, toujours d'actualité. Aujourd'hui, il nous offre une sélection de ces billets écrits entre 2000 et 2005 : quatre cents mots, de "Racaille et Voyou" à "Victime", de "Jubilé" à "Mammouth", de "Torride" à "Tempête"...

Il joue avec l'étymologie pour rattacher les mots de notre quotidien au patrimoine culturel, pour réduire les contresens, pour combattre les à-peu-près et les préjugés. Il nous offre aussi l'occasion de poser avec lui un regard engagé, plein de finesse et d'humanité, sur les cinq premières années du XXIe siècle.

L'auteur - Alain Rey

Linguiste et lexicographe reconnu, Alain Rey (1928 - 2020) était l'auteur de nombreux ouvrages sur la langue française et l'un des principaux créateurs des dictionnaires Le Robert.

Photo © Par Lionel Allorge — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

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Sommaire

Victime

Maurice Papon, condamné pour avoir participé au pire crime que la justice reconnaisse – le crime contre l'humanité – se considère donc comme une victime. Victime de la justice, disent les avocats, victime de la vérité, sans doute, et surtout, pour reprendre une formule remarquable de Bossuet, victime de soi-même. Le mot de victime, dans la bouche d'un homme qui, dans une situation responsable, a froidement, administrativement, platement envoyé à la mort hommes, femmes et enfants, ce mot fait sursauter.
Que des bourreaux et leurs complices deviennent un jour victimes, ce n'est pas forcément un objet de scandale. Mais, en tout cas, l'usage du mot victime devrait leur être à tout jamais interdit. Les avocats de Maurice Papon n'ont aucune réserve dans l'emploi des mots : ils n'ont pas peur des adjectifs inhumain et dégradant pour qualifier le traitement réservé à leur client. Ils en ont certes le droit, mais nous, nous avons le droit de nous en indigner ou d'en rire amèrement.
Retourner les mots est toujours possible. Mais c'est un exercice dangereux, car ces mots font forcément penser aux choses, à la vérité de ces choses : les victimes de Papon, les traitements totalement inhumains, et pire que dégradants, qui les attendaient.
Victime, dans l'Antiquité, est un terme religieux, lié à l'idée de " sacrifice ". La victime sacrificielle, de même que le bouc émissaire, cela avait un sens dans la Bible, mais devant l'évolution du mot et de l'idée, le caractère sacré de la victime est devenu métaphore et dérisoire. Aujourd'hui, victimes sont celles et ceux qui subissent une catastrophe naturelle ou une action humaine. Le mot est devenu terrible, en perdant sa valeur sacrée : les victimes subissent le mal ; elles sont les témoins mêmes du mal dans le monde. Autrefois, le langage attribuait ce mal à une cause précise : on était la victime de la méchanceté, de la malveillance, de l'indifférence de quelqu'un. Mais lorsque le mot est employé absolument, brutalement, les victimes tuées ou blessées le sont parfois sans raison compréhensible ; celles d'un régime, d'un responsable témoignent de la dégradation de la morale.
Quelle que soit la dureté de son sort, le condamné d'un procès loyal reconnu responsable de nombreuses victimes n'a plus le droit moral de prononcer ce mot, sauf pour regretter et se repentir : ce que Papon n'a jamais voulu faire au point même de se rendre insolvable, m'a-t-on dit, en mettant à l'abri l'argent que la justice lui ordonnait de remettre.
Rien à voir avec l'exercice de la clémence et de l'humanité. Si des victimes veulent pardonner, on les admire. Mais je crois que personne n'a envie d'épargner au très responsable, au pitoyable Maurice Papon, cette mise en garde : le mot victime n'est pas, ne sera jamais pour vous.




Torride

Un torrent de sensualité, mais un torrent brûlant, voilà ce que l'adjectif torride nous suggère, avec le roulement de tambour de ses deux r. Encore plus sonore en latin, torridus, jailli de torrere, le verbe qui grille et qui brûle. Dans le lointain passé indo-européen, enfouie dans les couches géologiques du langage, une racine ters- exprime la soif et le dessèchement : de là viennent l'anglais thirst, les torrents, les chaleurs torrides. Car le torrent, étrangeté choquante, fut pour les Romains ce cours d'eau maigre et exténué des régions chaudes. C'est en passant d'un pôle à l'autre de l'Empire romain, de la Mauritanie ou de la Numibie, à la Gaule, que le torrent a changé de nature. Défini par l'assèchement – c'est, un oued, en fait –, il devient montagnard et rapide, violent, mais froid et jamais desséché.
Ne reste en commun au torrent et au torride que la violence. Alors qu'ils s'opposent en humidité et en sécheresse. Après la zone torride et l'air torride qui assoiffe, l'adjectif qualifia ce qui produit la sécheresse : le soleil, la chaleur. Quant aux sentiments et aux passions " torrides ", elles ne dessèchent pas – du moins au début – ; elles enflamment. Emportant tout sur leur passage, elles retrouvent l'esprit des torrents, des rapides, des cataractes. Ce n'est pas détournement de sens, mais retour aux sources, d'abord en anglais, où l'on parla de torrid love dans l'exaltation sentimentale, le mot prenant au pays du hard porno et des gogo girls une allure nettement plus lubrique.
N'oublions pas que ce dérèglement de tous les sens reste pour les esprits nomades associé à cette zone torride qui ceinture le ventre rebondi de notre Terre, entre tropiques.
Passions torrides, solaires et tropicales, emportez-nous loin de ces lieux trop tempérés, où les pulsions sont nuageuses et les soleils brouillés.



Voilages


" Halte au racisme anti-voile de la racaille Chirac ! À bas la République impie. " Telles sont les fortes paroles, tracées, m'a-t-il semblé, d'une main virile, et que j'ai pu lire ce matin sur quelque mobilier urbain. J'en ai apprécié la condensation et la franchise, mais déploré la confusion.
Nous en a-t-on parlé, de ce voile ! On s'émerveille de ce flot de paroles, dont le principal effet fut de dresser une partie de la France contre l'autre. Que cache la guerre du voile, outre l'extrême perversité des mots ?
La descendance du velum latin, rideau, tenture ou vêtement, mot qui semble remonter à une racine indo-européenne signifiant " tisser ", a conservé comme seule valeur centrale l'idée d'un objet souple servant à cacher. Un autre velum, employé surtout au pluriel (vela, velarum) a donné cette toile qui permet aux vaisseaux, et aujourd'hui à des planches nautiques, d'avancer sur l'eau. " Maman, les p'tits bateaux, pour avancer, ont-ils des jambes ? " Non, mon cher petit – eût dit Proust –, mais des voiles.
Grave ambiguïté, car les femmes, ce n'est certes pas pour avancer, selon nous, racailles laïques et impies, qu'elles ont des voiles. La langue française, sagement, distingue le voile de la voile ; mais ironiquement, confond les pluriels.
En se tenant au voile, on constate qu'au moins en français et depuis que le mot existe, il est affecté au " sexe ", comme on disait à l'époque classique (en tout bien tout honneur), qu'on ne pouvait, dans un monde monothéiste pieux, rendre pur qu'en le voilant. Ainsi, le voile des religieuses catholiques envahit la scène du langage français dès le Moyen Âge et on peut rappeler que les saintes les plus vénérées, à commencer par la vierge mère – immortel oxymoron – sont représentées voilées.
De quoi permettre aux farouches partisans du voile de dire aux chrétiens : c'est vous qui avez commencé. Aux athées et aux impies, ils ne parlent pas. Donc, quand les religieux prennent " l'habit ", les nonnes prennent " le voile ", ce qui ne les dispense pas d'un habit fort enveloppant, façon tchador (mot persan). Mais que les mots sont traîtres ! En matière de vêture, le voile peut ne cacher que le cheveu : le bandana est au voile ce que le string est à la culotte – cette dernière seule ayant un nom franc et obscène. Le voile, cependant, sait aussi cacher et révéler le corps – une certaine Salomé en fait la preuve. En outre, il y a voile et voile, les uns choisis, décoratifs, aguichants (ah ! les voilettes et mantilles d'antan), les autres imposés, symboliques..., et d'un lourd ! C'est cela : le voile est relou. Le dilemme cher aux intégristes : femme voilée sinon femme violée, permet la séparation, l'enfermement, l'apartheid.
Certes, des musulmanes, parfois fort gracieuses, se voilent, pensent-elles, sans qu'on les y contraigne. Et on peut avoir du mal à comprendre qu'une habitude culturelle devienne un délit quand on franchit la porte d'un collège. Vous avez dit ostensible ? Comme c'est visible...
Words, words, words... Pendant ce temps, retour du fanatisme, recul des libertés, contradictions perverses (Molière : " et s'il me plaît, à moi, d'être battue... "), échec de la neutralité religieuse, appelée laïcité. L'" anti-voile " est tout sauf un racisme, et des penseurs musulmans, tel le poète Adonis, ont déploré ce signe d'archaïsme culturel sans aucun rapport avec la foi et la piété.
Décidément, le voile dévoile plus qu'il ne cache : les incompréhensions, l'écrasement des femmes, des hypocrisies partagées. Voilons-nous la face.



Les plages d'antan


Je me souviens..., disait joliment Georges Perec, évoquant un monde perdu, ce monde qui s'agite dans les têtes vieillissantes et qu'on peut prolonger vers le passé, grâce à l'immense témoignage du livre ou de l'écran.
Je me souviens donc d'un plaisant film où Melina Mercouri, péripatéticienne plein d'humanisme, contait les mythes tragiques de l'immortelle Grèce, concluant quelque récit bien sanglant et terrible par une exclamation cathartique : " et ils allèrent tous à la plage ". Admirable anachronisme, qui incite à revisiter les plages, non seulement d'antan – mais qui donne à cet adverbe son sens, de l'an passé ? – mais de jadis.
La plage, ou du moins ce mot assez fluide (l-ge), est sans contexte grec : de l'adjectif plagos " oblique " vient ta plagia pour les côtés en pente, et donc, les côtes qui ne sont pas abruptes et rocheuses. Un relais latin au Moyen Âge, puis italien (piaggia, aujourd'hui spiaggia) pour décrire toute pente douce, un pré, un terrain et en particulier ladite pente lorsqu'elle aboutit à l'océan, voire une étendue marine, une " plage de mer ".
Et voilà le mot, qu'on est ravi de voir écrit plage à la fin du xiiie siècle, ce qui manifeste le goût de nos ancêtres pour une orthographe phonétique, engagé dans une ouverture maritime où il rivalise avec des termes plus techniques, comme estran.
Il faut croire que le mot lui-même était peu connu des non-spécialistes, puisque l'Encyclopédie de Diderot en fait un terme " de géographie moderne ". Cette plage pour savants était aussi un de ces lieux déplaisants, déserts, stériles, en outre une menace d'échouage pour les navires, presque aussi dangereuse que le rocher. Il faut attendre le romantisme pour qu'on daigne percevoir dans ces étendues sablonneuses ou couvertes de galets un bon observatoire pour contempler cet objet fascinant, la mer, l'océan. En 1861 encore, Michelet, dans un livre admirable consacré à la Mer, voit dans ces plages " où d'autres trouvent un grand ennui ", des lieux qui " souffrent entre l'homme et la mer, des épanchements mystérieux ".
C'était trop beau, trop sensible, trop solitaire et romantique pour durer. Dans les dernières décennies du xixe siècle, en effet, la société moderne des pays riches met le grappin – si l'on ose dire – sur les plages. On entre doucement dans la civilisation des loisirs – pour les riches, d'abord. La plage, la spiaggia par excellence, peu après 1900, c'est le Lido vénitien où le héros de La Mort à Venise peut lorgner les corps adolescents dénudés ; ce sont les rivages de Normandie où aboutissent – Deauville, Cabourg – des lignes de chemin de personnes aux " trains de plaisir ".
La mer où se plonger, la neige sur qui glisser remplacent dans les fantasmes la mer cruelle et ses échanges et le silence glacé de ses sommets. La nature serait-elle domptée, transformée en capital exploitable et en paradis saisonnier ? On aurait pu le croire, avec le charme de Cabourg de Proust, n'était qu'en un siècle, aux bords d'une mer dépotoir parée d'un mur de béton hôtelier ou résidentiel, envahi d'une foule vomie par les grandes villes, les plages sont devenues, souvent, aussi répulsives qu'elles l'étaient lorsqu'on craignait leur solitude désolée.
Le slogan de 68, " Sous les pavés, la plage ", était déjà un peu nostalgique ; au xxie siècle, il fait peur.
En délocalisant la plage d'antan sous des tropiques fardés, mais toujours tristes, soleil, bain, sable, sexe, palmiers...
La nature asservie aux petits fantasmes occidentaux ? Un raz, un courant marin terrifiant dont on aime à répéter le nom japonais assez mal choisi – tsu-nami, c'est " vague de port " et non " de plage " –, vient de répondre. La nature terroriste ?
Hélas, où sont les plages d'antan ?





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Caractéristiques techniques

  PAPIER NUMERIQUE
Éditeur(s) Robert Laffont
Auteur(s) Alain Rey
Parution 07/09/2006 30/09/2010
Nb. de pages 462 -
Format 16 x 25 -
Couverture Broché -
Poids 557g -
Intérieur Noir et Blanc -
Contenu - ePub
EAN13 9782221105436 9782221112724
ISBN13 978-2-221-10543-6 -

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