Résumé
Que nul, à ce mot d'épigramme, ne se méprenne : il ne désigne pas ici le trait d'esprit vengeur, la flèche décochée avec adresse. Régnier l'emploie dans son sens le plus grec, le plus primitif : une « inscription » ; disons plus simplement un poème, où la brièveté est de règle et dont la chute, à défaut de percer un ennemi, doit « s'inscrire » durablement dans la mémoire. Sur des sujets aussi rebattus que l'amour et la mort, la fuite du temps, la force du souvenir, ces trois-là auraient de quoi tenir ce pari difficile ; mais il y a longtemps qu'on ne lit plus Régnier, coupable d'avoir traîné jusqu'en 1930 un métier appris sous Mac-Mahon. Je ne prétends pas que l'ajout de mes notes puisse lui redonner beaucoup de lustre ; peu importe, d'ailleurs, aux vrais amoureux du vers, comme aux vrais amateurs de ce genre périlleux qu'est la mélodie...
On m'eût dit, dans mes vingt ans, qu'un jour je mettrais Régnier en musique, je me serais récrié. Le poète des Médailles d'argile ou des Jeux rustiques et divins n'entrait pas dans mon vaniteux petit Parnasse portatif, dont les dieux majeurs se nommaient Mallarmé et Valéry. Curieusement, c'est à la musique que je dois de l'avoir ensuite fréquenté davantage : Le Jardin mouillé de Roussel, un des sommets de la mélodie française, m'a révélé du même coup un sommet de notre poésie. Je confesserai encore ceci : en découvrant les Épigrammes, en décidant de m'en servir, j'ai refoulé une ancienne méfiance, la crainte, en musique, de l'alexandrin, ce vers auquel peut souvent s'appliquer, hélas, un de ceux de Racine : « Sa croupe se recourbe en replis tortueux »... Mais non, j'ai trouvé des vers très purs, sans poids ni pose, auxquels j'espère avoir conservé leur souplesse émouvante, leur merveilleuse ductilité.
L'auteur - Henri de Régnier
Henri de Régnier (1864-1936). Il aurait dit sur son lit de mort : « Je vous en prie, après moi, pas de société d'amis ». Romancier, poète délicat, Henri de Régnier a toujours vécu dans la discrétion, le repli aristocratique et une réserve toute normande. Né à Honfleur dans une famille noble aisée, il abandonne la carrière diplomatique à laquelle on le destine par vocation littéraire. Il publie ses premiers vers à vingt ans dans des revues symbolistes. Le jeune homme va réussir à vivre de sa plume. Et plutôt bien. Son tout premier recueil (Poèmes anciens et romanesques. 1889) est un succès. D'autres vont suivre. Ce sont des textes aériens, étrangement emportés, où l'on retrouve l'influence de Kahn et de Mallarmé. De Heredia aussi, son beau-père. La rencontre avec l'auteur des Conquérants va en effet être déterminante dans la vie de Régnier. En même temps que son ami Pierre Louÿs, il tombe amoureux de Marie de Heredia, une des filles du poète. Parce que plus riche, il l'épousera. Mais elle ne sera jamais à lui. Elle lui préférera Louÿs dont elle fera et son amant et le père de son fils, Pierre de Régnier surnommé Tigre. Ces relations étranges (Régnier ne dira jamais rien), cette cruauté érotique se retrouveront dans ses livres. Dans ceux de Louÿs aussi et dans ceux de Marie qui prend comme nom de plume Gérard d'Houville. Cocu magnifique, Henri de Régnier ajoutera à sa morgue de naissance une pointe de désabusement. Il écrit des contes un peu lestes à la manière du XVIIIème, des romans, des maximes acides, des aphorismes mondains. Il voyage. Tombe fou amoureux de Venise et de la Méditerranée. Il est élu à l'Académie en 1911 (c'est sa deuxième tentative), il n'y sera pas très bien accueilli. Toujours un peu deux pas en arrière. Mais ce retrait va lui permettre de glisser sous des phrases d'apparence anodines, un incroyable flux de révolte et de passion. Régnier étonnamment est un contemporain.
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