Résumé
"Le meilleur livre paru sur la France depuis des années." Alain de Botton
Dans sa chambre d'enfant, à Philadelphie, Adam Gopnik avait un ami en carton: un mannequin représentant, grandeur nature, un agent de police parisien. Depuis, il rêvait de vivre dans la Ville lumière, rêve ravivé par un premier séjour dans la capitale française à l'adolescence, et par les charmes de Jacqueline Bisset sur les écrans des salles obscures. Peu après la naissance de leur fils Luke, la décision est prise: sa femme Martha et lui quittent New York pour Paris. L'occasion pour eux de confronter enfin leur rêve à la réalité, celle aussi, espèrent-ils, de soustraire leur enfant au rouleau compresseur de l'éducation à l'américaine. Débarquant à Roissy peu avant les grandes grèves de 1995, ils s'installent pour cinq ans dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. Correspondant parisien du "New Yorker" durant cette période, Adam Gopnik livre aux lecteurs américains sa vision de la vie parisienne. Et c'est ainsi que, par petites touches, partant souvent d'un détail apparemment anodin, il examine avec ironie et tendresse les mœurs parisiennes, voire françaises, tant il voit dans la France la championne du monde de la centralisation. Comme s'il empruntait le rôle du Candide de Voltaire, il brocarde d'une plume brillante le goût apparemment immodéré des Français pour la grève. Raconte ses expéditions rocambolesques au Bon Marché par la faute d'une de ces curieuses guirlandes de Noël clignotantes, et qu'on ne sait par quel bout prendre pour l'accrocher au sapin (en s'en servant comme d'un lasso, peut-être?). S'efforce de comprendre l'univers kafkaïen (et néanmoins incomparablement supérieur au système américain) de la Sécurité sociale, après avoir relaté le parcours non moins ubuesque du Parisien qui veut s'inscrire à un club de gym. Décrit la "guerre du Balzar", cette brasserie du Quartier latin devenue le symbole de la lutte contre la loi du marché à laquelle, désormais plus parisien que les Parisiens, il finit, lui, l'Américain libéral, par s'associer ! Mais s'attaque aussi à des sujets plus graves, comme le procès Papon qui traduit selon lui la puissance sinistre de l'administration française. Quand il n'emmène pas son fils au Luxembourg, chez une taxidermiste hors du temps de la rue du Bac...
Sommaire
Je crois que la gravité de cette grève ne m'est vraiment apparue qu'au moment où les poulets ont cessé de tourner au marché du quartier. Plusieurs marchands de volailles y faisaient rôtir à la broche poulets, coquelets, faisans et lapins, en permanence, en août comme dans les jours calmes qui succèdent à Noël. Un après-midi – la grève avait commencé quelques jours plus tôt –, j'allai au marché pour m'assurer du devenir d'une dinde commandée à l'un des rôtisseurs pour un Thanksgiving tardif et je m'aperçus qu'il avait rangé toutes ses broches et éteint ses fours. J'y vis l'un de ces signes où les correspondants à l'étranger sont supposés lire un sinistre présage et, comme j'approchais pour lui demander ce qui se passait, il indiqua d'un geste lugubre le boulevard Saint-Germain.– Ça commence, fit-il d'un ton sinistre.Mais qu'est-ce qui commençait, je ne savais trop.– La dinde, elle va arriver? demandai-je avec le stupide illogisme des gens pris dans la tourmente révolutionnaire ("Rien", nota Louis XVI dans son journal le jour de la prise de la Bastille).Il secoua la tête et, l'espace d'un instant, je craignis que la gent volatile ne fît grève, elle aussi. Puis il indiqua derechef le boulevard.Sur au moins dix pâtés de maisons, de part et d'autre de l'artère, stationnaient des autocars de tourisme; ce simple spectacle, compte tenu de la sévérité avec laquelle les flics font observer les règles de stationnement, était en soi-même quasi insurrectionnel. Entre les deux rangées d'autocars, des milliers de militants de FO, venus de la France entière, remontaient le boulevard, trois ou quatre de front. Suivait une arrière-garde d'étudiants armés de bâtons et parfois de briques. Le bruit était bizarrement confiné, amorti par les bus garés, on avait l'impression d'une révolution dans une gare routière. Plus à l'est, les CRS étaient rangés et attendaient, avec leurs casques et leurs boucliers. Il ne se produisit aucune violence et il n'y en a pas eu depuis, mais on commençait à se demander si les Français ne réessayaient pas, fût-ce pour un instant, des costumes révolutionnaires depuis longtemps mis au rencart, bien que dans une mise en scène légèrement irréelle: les grévistes venant en bus à la Révolution, les étudiants réapprenant le vocabulaire des pavés arrachés.La grève avait commencé le vendredi 24 novembre par un préavis d'un jour des cheminots. Le gouvernement Juppé en était encore à s'autocongratuler, à s'enchanter, tel Gringrich, des mesures d'austérité annoncées pour réformer le ruineux système national de sécurité sociale. Ces mesures épouvantaient les cheminots car le gouvernement verse directement quantité d'argent dans leur caisse de retraite, franche subvention qui fait des travailleurs du chemin de fer moins des employés d'une entreprise fondée sur le profit que des fonctionnaires subventionnés d'un trésor culturel d'État, comme les pensionnaires de la Comédie-Française.Pendant ce temps, une grève des étudiants d'université, qui avait commencé à l'extérieur de Paris, s'étendait à la capitale. Les étudiants voulaient des amphis moins bondés et davantage d'argent, et le gouvernement ne voyait pas comment leurs intérêts pourraient s'associer à ceux des cheminots ; au surplus, il ne s'expliquait pas qu'une grève estudiantine pût passer au premier plan dans un pays où le taux de chômage dépasse depuis longtemps les dix pour cent. Mais le gouvernement avait sous-estimé la force extraordinaire du mot étudiant dans l'imaginaire français, un peu comme farmer chez les Américains. En fait, la formule "mouvement étudiant" a en France une magie à peu près équivalente à l'expression "ferme familiale" en américain, qui évoque un passé idéalisé, même chez ceux qui n'ont jamais pris part à un mouvement estudiantin ni vécu sur une exploitation familiale. Une semaine durant, les étudiants et les cheminots s'attaquèrent tour à tour au gouvernement Chirac-Juppé, comme une paire de catcheurs expérimentés sautant sur des innocents imberbes.Ils se débrouillèrent si bien que d'autres groupes se mirent à entrer sur le ring. Pour commencer les machinistes du métro, puis les trieurs du courrier et enfin les employés de France-Télécom. Où cela s'arrêterait-il?Bien qu'elle eût acquis un rythme quasi révolutionnaire, la grève ne nourrissait aucune idéologie de même ordre: le slogan des fonctionnaires, à la pointe de la grève, reste au fond: "On ne bouge pas." Leur revendication est totalement bourgeoise; on dirait une grande danse de la classe moyenne s'efforçant d'invoquer, à force de ferveur et d'intensité, la certitude que l'avenir sera comme les trente glorieuses, cette période de prospérité qui s'est achevée à la fin des années soixante-dix. Voilà pourquoi les Français qui ne sont pas syndiqués eux-mêmes soutiennent la grève; un sondage pratiqué au bout d'une semaine a montré qu'un peu plus de soixante pour cent considéraient le mouvement avec sympathie.Quelques jours après la manifestation, je retournai à la rôtisserie pour m'assurer que la dinde était bien en route pour la capitale.– La situation est préoccupante, dit le boucher. La grève l'empêche de bouger.– Avait-elle l'intention de prendre le TGV? m'enquis-je.
Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | NiL éditions |
Auteur(s) | Adam Gopnik |
Parution | 09/01/2003 |
Nb. de pages | 336 |
Format | 14.3 x 22.8 |
Couverture | Broché |
Poids | 434g |
EAN13 | 9782841112609 |
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