Du secret des clandestins à la propagande voltairienne

Le cas de Thomas Pichon (1700-1781), copiste et collectionneur, présenté et analysé dans Lumières clandestines - Les papiers de Thomas Pichon, du même auteur (Champion éd., 2001), sert ici de fil conducteur à l'étude du phénomène clandestin d'un bout à l'autre du siècle des Lumières. Il permet de conduire une étude synthétique sur les manuscrits philosophiques, leur contenu et leur audience. Ses papiers, accumulés pendant toute une vie, permettent, et par leur apport documentaire, et par les termes de comparaison qu'ils offrent, d'apporter des informations et des interprétations neuves. Une première partie rassemble les éléments de la culture critique commune des auteurs et des lecteurs. L'unité idéologique n'est pas dans un système de pensée mais dans une méthode. La seconde partie est consacrée à Robert Challe, auteur du premier traité déiste français, précurseur de Pichon à bien des égards. Ecartelé entre l'exigence rationnelle et un idéal religieux mal débarrassé de la tradition, il se débat contre ses contradictions internes. Son dialogue avec Malebranche est un prétexte au dialogue avec lui-même. A propos de Boulainvilliers et du curé Meslier, la partie suivante exploite les renseignements fournis par Pichon sur les attributions, sur la diffusion et sur la réception des manuscrits, anonymes ou non. La quatrième partie met en évidence les métamorphoses que subit pendant trente ans, sous ses formes manuscrites, le Telliamed de Benoît de Maillet dont Pichon a été l'un des ouvriers. La dernière partie analyse les multiples profits que Voltaire tire des méthodes secrètes de la génération précédente. Il transforme la confidence en proclamation, la recherche solitaire en combat de société, le dialogue intérieur en joute oratoire, la critique érudite en jeu polémique. Le siècle passe de l'austérité au sourire. La pratique de la copie et de la circulation clandestine conserve son intérêt et sa fonction, et les renouvelle tout au long du siècle en dépit et à cause de la diffusion imprimée des idées philosophiques.