Ille et galeron

En faisant d'Ille le fils d'Eliduc, en lui prêtant des aventures qui rappellent celles de son père, Gautier d'Arras récrit à sa façon, dans son roman d'Ille et Galeron, le lai d'Eliduc, connu par Marie de France. Pas de place chez lui pour le merveilleux. Un souci constant, au contraire, de vraisemblance, qui touche aussi bien les péripéties que les réactions et les sentiments des personnages, toujours expliqués, toujours scrupuleusement justifiés. Ce roman de vaillance et d'amour exclut aussi les faux-fuyants et les demi-mesures. Gautier a choisi de l'intituler Ille et Galeron car il est avant tout l'histoire de l'union profonde de deux êtres d'exception, une union qui survit à la séparation. La belle Galeron, première épouse d'Ille, disparaît plus de mille vers avant la fin. Prenant le voile dans un élan d'amour suprême, elle s'efface au profit de Ganor, impératrice de Rome, qui assurera à Ille, à la faveur d'un second mariage, la puissance et la gloire. C'est pour Gautier l'occasion de subtiles analyses psychologiques, qui vont bien au-delà du conscient, et d'une peinture nuancée des deux héroïnes, à la fois si semblables et si différentes. Ille et Galeron est une œuvre originale, caractérisée par la cohérence, le sérieux, la gravité, une noblesse de ton qui atteint par moments au sublime. Moins souriant que ceux de Chrétien de Troyes, qui l'ont trop longtemps éclipsé, le roman de Gautier d'Arras n'en constitue pas moins l'un des sommets de la littérature du XIIe siècle.