L'effet des faits

"Qu'on le veuille ou non, chacun d'entre nous a été fabriqué, moins avec du sang et des gènes que dans un processus pour une bonne part fortuit, par l'impact des choses vues, entendues, senties, goûtées et subies pendant les quelques années qui ont précédé le moment où l'argile dont nous sommes faits a durci", écrit Luc Sante dans «L'Effet des faits». Et tel est le point de départ de ce livre d'une espèce tout à fait inhabituelle. Car il ne s'agit, en effet, ni d'un essai d'anthropologie de soi-même, ni d'une autobiographie comme on pourrait d'abord le croire, mais bien d'un véritable livre de voyage. Dans les territoires de l'être.

Né en 1954 à Verviers, une ville industrielle de Belgique, Luc Sante fut emmené aux Etats-Unis par ses parents quand il était encore très jeune. Ne sachant trop d'où il était, il grandit déchiré, moitié dans l'ancien monde, moitié dans le nouveau, et plein de rancoeur envers l'un et l'autre.

A trente-cinq ans, il se rend dans son pays natal et devient une sorte de détective en quête d'indices révélateurs dans son enfance, dans les vies respectives de ses parents, sur les traces obscures de leurs ancêtres. Il examine l'histoire sociale de sa ville natale, il observe la Belgique elle-même, pays placé "sous le signe de l'ambivalence". Et partout où il enquête, Luc Sante trouve des fragments de lui-même.

Explorant et analysant le temps, les lieux, les langues, aussi bien que les marchés aux puces, les microfilms, les photographies et les anecdotes qu'il recueille, le détective Sante prend conscience qu'il est en quelque sorte la somme d'une accumulation d'accidents advenus par les caprices de l'histoire et de la culture.

Et ainsi, sous les yeux du lecteur, Luc Sante se transforme en auteur d'une oeuvre littéraire où l'écriture, par sa manière de rapporter l'enquête et la réflexion, joue un rôle déterminant. On pense à la phrase de Brecht : "La forme, c'est le fond qui remonte à la surface."