
Le vent d'espagne - Tome 1
Colette Laussac - Collection Ecole de brive
Résumé
Colette Laussac quitte sa Corrèze natale et nous livre un roman à la fois intimiste et aventureux au cœur de l'Espagne du XVIIe siècle : le voyage initiatique de deux adolescents.
On les appelait les Gavachos. Ils étaient limousins et partaient en Espagne, chassés par la misère ou poussés par le démon du voyage. En 1630, deux adolescents vont ainsi s'élancer chacun de leur côté en direction des Pyrénées. Le premier, l'Espiègle, avec pour tout bagage quelques hardes et son chat Grisou, part conquérir la Séville mythique que lui a vanté un vieil émigré andalou. Le second, Anthoine, fuit son village en compagnie de son chien l'Ébourrifé. Ils ne tarderont pas à se trouver sur la route de Montauban et poursuivront ensemble leur errance au milieu de tous les dangers. La route est longue de Brive à Séville. Pour les deux jeunes gens, le danger est à chaque tournant du chemin, et ils doivent utiliser toutes les ressources de leur imagination pour surmonter les obstacles. L'Espiègle a accepté de passer la frontière avec un exemplaire de la Bible réformée, ce qui, par ces temps troublés, peut lui valoir le bûcher. Anthoine, de son côté, n'est pas ce qu'il paraît. Fille déguisée en garçon, elle a dû fuir son village à cause de son appartenance à cette étrange confrérie des cagotes, qu'on soupçonnait de sorcellerie. Colette Laussac restitue à merveille le climat de l'époque et dresse un portrait éblouissant de Séville. Elle parvient aussi à nous toucher avec des personnages émouvants et troublants de vérité, et une écriture tout en sensibilité.
Sommaire
L'Enseigne poussa la porte violemment en criant :–; C'est moi !Il s'arrêta net, coupé dans son élan : nue debout devant la minuscule fenêtre, je me lavais.Les yeux exorbités, sans voix devant le tableau qui s'offrait à lui, l'Enseigne paraissait statufié. Ce n'était pas possible ! Il rêvait ! Les mains resserrées en étau devant mon sexe, je tentais de dissimuler ma nudité. Mais ces seins, certes petits, appartenaient à une femme !L'Enseigne, gêné et abasourdi, détourna son regard pendant que j'enfilais prestement un pourpoint et mes chausses. Le silence s'établit. Long. Épais. –; Je vais t'expliquer..., murmurai-je en m'approchant de l'Enseigne qui sursauta. Ne crains rien... Je suis toujours Anthoine... Je versai dans un verre de l'eau d'orangeade et le tendis à mon ami en commandant :–; Bois ! Cela te fera le plus grand bien ! Ensuite, je te raconterai tout... Voilà... Je cherchais mes mots. –; J'ai eu tort de ne pas te dire dès le début que j'étais une fille, mais j'avais tellement peur de te perdre ! Plusieurs fois, j'ai essayé de t'en parler... Ce n'est pas tout... Je suis une cagote !Au point où j'en étais, mieux valait que je dise tout.L'Enseigne eut un geste de recul. Considérés comme responsables des épidémies, les cagots vivaient en communauté, à l'écart des villages, travaillant en général le bois ou la corde !La voix cassée par l'émotion, je repris :–; On nous traite comme des pestiférés. C'est injuste... –; Pourquoi es-tu partie ? –; Je t'ai menti... C'était pendant la messe, nous étions à l'élévation, lorsque soudain, un de mes plus proches voisins s'écroula, face contre terre. Aussitôt, une femme me bouscula en hurlant : c'est elle qui lui a jeté le mauvais œil, je l'ai vue ! On criait de toutes parts : À bas la sorcière ! Qu'on la fasse brûler ! Tout s'est passé ensuite très vite. Quelqu'un m'a soulevée de terre, on m'a traînée dehors alors que d'autres revenaient chargés de fagots. Je ne sais par quel miracle j'ai pu m'enfuir. J'ai couru à perdre haleine sous les hurlements hystériques de la foule, droit devant moi, jusqu'à ma maison... J'ai bien vite compris que si je ne voulais pas périr sur un bûcher, je n'avais pas d'autre choix que de m'enfuir. Et je t'ai rencontré... Voilà, tu sais tout maintenant... J'espère que tu me pardonneras mon silence... L'Enseigne ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il se sentait trahi, bafoué dans son amitié. Il avait voyagé, partagé ses jours et ses nuits avec une fille et il ne s'était aperçu de rien ! Fallait-il qu'il fût aveugle ou bête !Des détails qui auraient dû l'alerter lui revinrent : Anthoine refusant de participer au concours de celui qui pisse le plus loin ; la fragilité de son compagnon l'avait plusieurs fois étonné et il ne l'avait jamais vu nu. Jamais. Ni dans une chambre, ni lorsqu'ils se lavaient dans un ruisseau. Alors que lui... Il rougissait, gêné, à la pensée du spectacle qu'il offrait. Mais quoi, il ne pouvait pas savoir qui elle était ! –; Anthoine est une fille, se répétait-il sans parvenir à y croire vraiment. Plus jamais il n'oserait la bousculer en un combat singulier comme il se plaisait à le faire si souvent ; plus jamais il n'oserait lui parler de la nuit passée auprès de la pute de Souillac, lorsqu'il avait sauvé Carême de la noyade. Les plus jamais s'ajoutaient, se juxtaposaient en une série d'interdits et de peurs. Et puis, bannie de la société, apte à apporter avec elle tous les malheurs, elle appartenait à la race des cagots ! Non seulement ces derniers véhiculaient des maladies telles que la peste, mais on disait encore qu'ils pouvaient empoisonner les points d'eau ! En toute honnêteté, l'Enseigne reconnaissait qu'il n'avait jamais remarqué une quelconque différence : Anthoine se comportait de la même manière que les gens dits ordinaires. Cependant... Cependant, des images le hantaient : les cagots obligés de se marier entre eux, chassés des lieux publics, subissant des injures et des vexations à longueur d'année... Et voilà que lui-même avait vécu presque un an auprès de l'un d'eux, plus précisément à côté de l'une d'elle ! Tiraillé entre la pitié et l'horreur que lui inspirait Anthoine et l'amitié qui le liait à lui – à elle – l'Enseigne ne savait que penser ni comment nommer Anthoine. Devait-il dire il ou elle ? La haïr ou lui pardonner ? Anthoine appartenait-elle comme lui à la race des humains ? Ou bien venait-elle d'une sous-catégorie dégénérée et dangereuse ? Ces questions sans réponse se bousculaient dans sa tête, le précipitant dans une incertitude épouvantable, une folie meurtrière.Je chuchotai dans le noir : –; L'Enseigne... L'Enseigne s'immobilisa, sa respiration devint lente, comme s'il était plongé dans un sommeil profond. –; Je sais que tu m'entends. Je t'en supplie, ne m'en veux pas. Je n'ai pas eu le choix. Une fille seule court tous les dangers, alors qu'un garçon n'expose que sa vie. Et je préfère mourir plutôt que de subir des violences... En un instant, l'image du sexe deviné d'Anthoine, ses seins ronds, son corps aux courbes douces, son visage fin taché de points de rousseur s'imposèrent à l'Enseigne. La voix d'Anthoine le berçait, douce, persuasive :–; Il faut que tu me pardonnes... Je n'ai que toi... Que deviendrais-je si je te perds ? Je t'en prie, réponds-moi...L'Enseigne, à cet instant, en était bien incapable. La respiration légère d'Anthoine, la chaleur qui se dégageait de lui le troublaient à un point tel qu'il n'entendait plus rien, si ce n'est le ressac du désir qui allait et venait en lui, de plus en plus fort. Malgré mes efforts, l'Enseigne se mura dans un silence hostile dont rien ne semblait pouvoir le faire sortir. Il demanda seulement :–; Quel est ton vrai prénom ? –; Toinette. Cependant, je préférerais que tu continues à m'appeler Anthoine. L'Enseigne resta couché deux jours, sans manger ni boire. Je ne savais que faire. Devais-je parler à Maria et à Vicente pour qu'ils essaient de raisonner l'Enseigne ? Valait-il mieux me taire ? Car je devais me l'avouer : l'état de garçon présentait de tels avantages que je n'avais guère envie de redevenir une fille. En tant qu'homme, non seulement je pouvais exercer de nombreux métiers interdits aux femmes, mais je jouissais en plus d'une liberté à laquelle je n'avais jamais eu droit jusque-là. Si je parlais à qui que ce soit de cette affaire, le secret serait vite divulgué. Je jetai un coup d'œil à l'Enseigne qui dormait, roulé sur lui-même, et sortis sans bruit. L'animation qui régnait dans la rue me surprit. Au milieu des injures et des cris, les chevaux et les carrioles soulevaient des nuages de poussière ; les dames avançaient à petits pas, le visage blanc de fard, leurs mantes en voile transparent dansant autour d'elles.Ici, chantait la vie. Le terrier où nous nous cachions respirait la mort. Dès l'autodafé terminé, quoi que décide l'Enseigne, je me promettais de quitter ce lieu malsain. Portée par la foule, je marchai, au hasard des rues et des places. L'air chaud me caressait, il me semblait entendre des appels dans le souffle du vent venu du Guadalquivir. La vie continuait. Mieux valait la rattraper. Certainement parce que j'avais besoin de parler à quelqu'un, je me retrouvai devant l'échoppe d'Augustin. En m'apercevant, l'esclave s'exclama :–; Toi ici ! Je te croyais mort !De son visage noir, n'apparaissaient que ses dents d'une blancheur immaculée.–; Entre donc et assieds-toi ! poursuivit-il en caressant l'Ébouriffé qui lui faisait fête. Ne crains rien. Personne ne te trouvera ici !–; Merci. –; Où donc est l'Enseigne ? demanda Augustin, brusquement intrigué.Je haussai les épaules : –; Il n'a pas voulu venir... –; Toi, tu me caches quelque chose ... L'esclave m'observait fixement. Gênée, je détournai mon regard. –; Dis-moi, poursuivit le Noir, lui as-tu dit qui tu étais vraiment ? –; Je ne comprends pas... J'hésitais à parler. Il était impossible que le Noir connût ma véritable identité ! –; Comment pourrais-tu savoir que je suis... Augustin acheva la phrase en éclatant de rire :–; Une fille ? Je bégayai : –; Mais comment... –; Je t'ai beaucoup observée...Plusieurs fois, je m'étais changée de vêtements alors qu'Augustin paraissait dormir. M'avait-il vue à ce moment-là ? Peu importait d'ailleurs. L'esclave savait et il gardait le secretLorsque j'eus fini de raconter les derniers événements, Augustin prit la parole : –; Il faut comprendre ton ami. Il connaissait un garçon et voici que tu te transformes brusquement en femme ! –; Je suis toujours la même ! –; L'approche qu'il a de toi a changé. Laisse-lui le temps et les choses rentreront dans l'ordre. –; Que Dieu t'entende ! murmurai-je, désespérée.
Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Robert Laffont |
Auteur(s) | Colette Laussac |
Collection | Ecole de brive |
Parution | 13/10/2005 |
Nb. de pages | 345 |
Format | 15.5 x 24.1 |
Couverture | Broché |
Poids | 540g |
EAN13 | 9782221105122 |
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