Les fantômes de mon cœur

Les jours passent, les crises s'enchaînent. Tu me jettes à la figure tes colères, tes peurs, tes chagrins. Je reçois tout en pleine face, sans trouver le bon bouclier. Au fur et à mesure, je comprends que tu rejoues la même scène à l'infini. Une contrariété, une frustration et tu démarres. Tu te montres vindicatif, virulent. Tu cherches les limites. Tu veux qu'on appelle la police. Tu insistes toi-même pour qu'on fasse appel aux forces de l'ordre. Tu fais tes bagages. De plus en plus régulièrement, tu pars. Quelques heures, parfois même quelques jours. Tu dors dans la voiture, tu n'as personne chez qui aller. Tu reviens. Tu pleures. À chaque fois, je te parle pendant des heures. Je ne dors plus. J'essaye de t'atteindre, tu écoutes d'une oreille, tu t'emportes, et puis tu t'isoles. Comme si tu avais besoin de temps pour assimiler. Tu essayes d'imposer tes propres règles. Tu te heurtes à moi. Parfois violemment. Tes paroles sont blessantes. Et, paradoxalement, plus tu es blessant, plus tu sembles t'attacher. Et plus tu t'attaches, plus tu te sens en danger. Rester avec nous n'était pas ton projet. Ce n'était pas ton but. Tu ne fais pas partie de cette famille, tu n'es pas des nôtres. Mais d'où viens-tu ? Formatrice et conseillère en insertion, Irène Legall accompagne depuis vingt ans un public en grande précarité. Son parcours professionnel dans le champ de l'insertion sociale et de la protection de l'enfance l'a amenée à s'intéresser à des thématiques comme l'exil, le déracinement, l'errance, l'abandon. Nourrie de ces expériences aussi enrichissantes que perturbantes, elle a choisi de mettre en lumière une galerie de portraits inspirés de rencontres fortuites dans l'objectif de rendre hommage à ceux que les différentes ruptures ont rendus plus fragiles que les autres.