Les orphelins du grand nord

Une louve blanche venait d'émerger des buissons, non loin de là, pour disparaître aussitôt. Aurélie resta immobile et n'eut pas à attendre longtemps. Vaincue par la curiosité, la bête ressurgit quelques minutes plus tard et la dévisagea, l'étudia, méfiante, prête à détaler au moindre signe de danger. Elle montra les crocs, mais Allie savait qu'il ne s'agissait que d'une tentative d'intimidation, et elle ne bougea pas. Elle songea que la louve devait avoir dans les deux ou trois ans. Ses flancs gonflés indiquaient qu'elle allaitait probablement une portée, ce qui poussa la jeune fille à rester sur ses gardes, car les jeunes mères étaient souvent plus agressives qu'à l'ordinaire...Allie sentait que cette rencontre n'était pas vraiment due au hasard. Peut-être avait-elle trouvé ce qu'elle cherchait. La louve l'observa ainsi durant quinze bonnes minutes, sa méfiance s'évanouissant peu à peu. Soudain, elle gémit doucement. Il y eut un léger bruit de pas sur les brindilles, un bruissement de feuilles, et trois grands mâles débouchèrent de la forêt à quelques mètres, suivis par une seconde femelle escortée de quatre jeunes. Ces derniers accoururent en se bousculant vers la louve, et Allie devina le reste de la meute tapie dans les fourrés... Les animaux sauvages, qui n'avaient jamais vu l'homme, ne fuyaient pas à son approche. Au contraire, ils l'observaient avec curiosité: ainsi, la joyeuse bande de louveteaux qui venait d'apparaître offrait un singulier contraste avec les aînés qui se tenaient, eux, immobiles à quelques mètres, calmes mais attentifs, visiblement nerveux.Sauf un.Allie retint son souffle. Elle rencontra les yeux d'or et elle le reconnut.Rolph, Rolph, Rolph, murmura-t-elle.Son poil était magnifique, la longue queue touffue traînait presque sur le sol. Les oreilles étaient dressées, pointées en avant, signe de bonne humeur chez lui. Il portait sur son museau les traces de sang d'une récente capture. Et son regard... fier mais doux et souverain, intelligent aussi: le même que dans le souvenir, demeuré intact, de la jeune orpheline. Il était impossible pour elle de ne pas comprendre le sens de ce regard, celui par l'intermédiaire duquel elle avait communiqué pendant un an avec lui, l'être sans défense, soumis, joueur... et qui avait maintenant grandi.Ce regard l'avait jadis frappée, l'avait appelée à l'aide, implorée, puis avait demandé à vivre. Il avait questionné, parlé, exprimé des sentiments que l'on n'attribuait d'ordinaire qu'aux hommes, mais dont ces derniers n'avaient pas le privilège exclusif. Car Rolph l'avait aimée, chérie, il avait veillé sur Allie et l'avait rendue plus heureuse que ces semblables eux-mêmes.Et le regard de Rolph, en cet instant, demandait encore à jouer, à rire, à aimer, à protéger. Seulement... il y avait cette autre famille à proximité, à qui il appartenait aussi désormais. Alors il se contenta de la contempler à distance, ravi, grondant par moments de bonheur comme s'il avait voulu dire à sa meute: "Vous la voyez? Vous la voyez vraiment? Eh bien, elle est à moi! À moi seul! Et gare à celui qui s'en approchera!"Rolph était beau, et Allie était fière de lui. Il était devenu le chef d'une horde libre avec la belle louve blanche, sa compagne, et père de ces quatre louveteaux qui jouaient à se donner des coups de patte, des coups de tête, se poursuivant, se culbutant, comme si la présence de cette humaine silencieuse parmi eux ne revêtait aucune importance majeure, comme si elle avait toujours été des leurs.Rolph ne ressemblait en rien à la peluche fragile qu'Allie avait élevée... Rolph le tout-puissant, Rolph le roi, le loup de la forêt, songea la jeune fille avec orgueil. Il entrouvrit alors sa gueule et elle vit les superbes crocs scintiller. Il souriait...