Malaise dans la ville

L'habitant des grandes villes, et en particulier le Parisien, est devenu le défouloir collectif d'une société française en crise. La figure d'un homo festivus, arpentant les quais de Seine en velib, entre son brunch dominical et un passage chez Biocoop, s'est ainsi largement imposée dans notre imaginaire collectif. Cette vision d'un urbain privilégié et déconnecté des « vraies réalités » a été confirmé par une carte électorale mondiale semblant acter année après année d'une fracture irrémédiable entre des métropoles, bénéficiaires heureuses de la mondialisation, et des territoires ruraux ou périphériques, victimes malheureuses d'un monde ouvert. Cette lecture nationale ou internationale n'a pas permis de rendre compte de réalités plus fines et notamment de l'émergence d'un sentiment d'insécurité croissant chez les populations urbaines. En outre, cette analyse sociologique s'est chargée de critiques psychologiques, sociales et idéologiques qui ont conduit à dénier le droit aux urbains d'exprimer leurs fragilités. Les contradictions de l'homo festivus, comme par exemple l'évitement de la carte scolaire, le refus d'installation de salles de shoot ou de camps de migrants, ont ainsi donné lieu à des analyses psychologiques, superposées parfois à une lecture marxiste ou de lutte des classes, alors même qu'elles traduisaient l'émergence d'un sentiment d'insécurité chez les populations urbaines. Présentés comme des bobos bien-pensants, des élites déconnectées ou des tenants de la société ouverte, les urbains ont pris la place de la victime expiatoire d'une société tétanisée face à ses fractures. Il n'est pourtant pas illégitime de faire valoir que des populations urbaines, rurales et péri-urbaines peuvent ressentir une même insécurité économique et culturelle. Certes, cette insécurité se développe sur des terreaux différents, certes, elle se nourrit de réalités différentes, mais elle peut déboucher sur l'expression de mêmes attentes en matière politique. Les urbains même aisés, même bobos, même totalement acquis aux codes culturels de la mondialisation, sont loin d'être gagnants sur tous les plans face à un monde mondialisé. Leur territoire d'habitation et leurs modes de vie les exposent de plein fouet aux mutations du monde moderne : immigration non régulée, délinquance, rapports sociaux de plus en plus conflictuels, pression croissante sur le plan professionnel, délitement des structures sociales et familiales, perte de repères, etc. Le « réel » se manifeste bien jusque dans les ghettos bourgeois. Si la génération des baby-boomers s'est accrochée à sa ligne idéologique face à ces réalités, en se persuadant des vertus de la mixité de la société sociale ou des bienfaits d'une immigration massive tout en contestant l'autorité et les institutions, la génération des Millenials contribue à modifier le visage de l'électorat urbain. Désidéologisés, ayant grandi avec la crise économique et le risque terroriste, héritiers d'une France post-soixante-huitarde, les enfants des années 1980-2000, expriment de plus en plus ouvertement leurs attentes en matière de sécurité et de limites. On s'étonne de l'apparition de ces nouveaux fachos bohêmes, de ces whitetrash de Ménilmontant. En réalité, ces évolutions correspondent à des réactions largement compréhensibles face à des réalités urbaines encore souvent passées sous silence. Alors que partout dans le monde on assiste à un tournant nationaliste, qualifié de populiste en forme de disqualification, l'extension du sentiment d'insécurité culturelle et économique dans les centres urbains privilégiés est un enjeu majeur. C'est à travers cette faille commune que peut se reconstruire la revendication d'un retour à la nation, qui demeure l'élément fondamental pour lutter contre la fragmentation de nos sociétés dans une période d'incertitude, de précarité, de peur et d'insécurité face au lendemain.