Opération damoclès

Antoine Brizon, journaliste d'investigation, mène depuis un an une enquête sur la culture hip hop et les graffeurs qui s'expriment illégalement, de nuit, dans le métro. Impossible de refuser de l'aide aux Services Secrets français quand ces derniers ont connaissance d'une menace d'attentats, éventuellement chimiques, sur le territoire et notamment dans le métro parisien. Nul ne connaissant mieux le métro que les jeunes qui l'ont accepté au sein de leur groupe, pourra-t-il glaner les renseignements qui permettront d'éviter des drames, comme en ont connu le Japon ?

Un extrait:

Karim était inquiet, nerveux. Dans la pénombre d'une station de lavage auto à La-Plaine-Saint-Denis, il attendait le «grand frère». Pas un grand frère comme les autres, pas de ceux qui aident les jeunes banlieusards pour qu'ils ne sombrent pas dans la délinquance. Le «grand frère» était son contact, celui à qui il rendait des comptes, son maître à penser... dans son «jihad».
Comme beaucoup de ses copains démunis de tous repères et avides de combats à mener, il n'avait pas hésité longtemps à s'engager dans la troisième guerre mondiale, celle déclenchée un certain 11 septembre par Al Qaïda. Il avait dû se contenter longtemps d'apprécier de loin, et avec une certaine frustration, l'engagement religieux de ses frères, mais depuis quelques mois un frémissement était perceptible autour de lui. Quelque chose bougeait, il en avait conscience. Un mélange d'inquiétude et d'excitation l'animait souvent, comme là, en ce moment, dans cette station de lavage...
Pour se détendre, Karim alluma un joint, son seul vice ; musulman pratiquant, il ne buvait pas d'alcool. Sa réserve naturelle et son physique plutôt chétif le rendaient quasiment invisible auprès des filles de la cité. Pour la plupart d'entre elles, seuls les mâles costauds, chargés de testostérone ou de produits moins naturels, sortant d'autos puissantes aux vitres volontairement noircies, arrivaient à leur faire soulever d'un doigt les imitations de Ray Ban ou de Dolce Gabana posées sur leur nez, découvrant ainsi un regard gourmand pour ces tristes copies ratées de héros des temps modernes.
Il n'eut pas le temps de finir son pétard : surgissant de nulle part, Mehdi Soultani, son «grand frère», un Tunisien à la trentaine élégante, l'accosta.
À chaque fois qu'il l'avait rencontré, Karim ne pouvait s'empêcher d'admirer la «classe» de ce «grand frère». Rien à voir avec ces pauvres caïds qu'il apercevait tous les jours dans sa cité et qui rendaient dingues ces idiotes au nez poudré dedans-dehors. Monsieur Soultani, lui, était toujours très calme, mesuré, presque effacé, mais il dégageait une telle assurance, une telle conviction dans ses propos qu'aucune contradiction ne pouvait lui être opposée.
Ce soir encore, le «charme» avait agi et Karim, à la question :
- Où habite-t-il ?
avait donné, sans hésitation, l'adresse de son copain Nyssan.