Sheeper

Sheeper - le double romanesque d'Irving Rosenthal - est un meneur. Lui et ses amis David, Olivier, Porcelet et Roy veulent vivre cent vies à la fois. Homosexuels et envapés, ils ont pour devise : « Rien n'est vrai, tout est permis. » Une telle vision des choses pourrait tourner au tragique, mais l'auteur a une façon réjouissante de déraper dans le burlesque gratuit et parfois dans la méchanceté et le cynisme : « L'homosexualité est la seule solution face à la surpopulation », ou encore « Les drogues sont le meilleur moyen de s'affranchir du joug des parents et de la société ». Il n'en est pas moins vrai que certaines scènes débridées du livre restent dérangeantes. Irving Rosenthal est un maître de la transgression des tabous et nous propose de rire de tout sans être gêné par rien.
Certains personnages du livre sont réels (Allen Ginsberg, Herbert Huncke, Alex Trocchi). Ils sont transfigurés mais demeurent les pourfendeurs de la bêtise américaine. Néanmoins, considérer Sheeper comme un livre de mémoires serait un contresens. Sheeper est une autobiographie à portée universelle.
Quand Rosenthal écrivit son récit, en 1962, aucune manifestation pacifiste ne s'était encore organisée, le mouvement hippie était dans les limbes, ainsi que le mouvement de libération des homosexuels. C'est avec ténacité qu'Irving Rosenthal-Sheeper endosse la position du poète-pacifiste, bouddhiste, homosexuel et juif.
Derrière cette glorification esthétique des parias, on devine que l'auteur reprend à son compte un précepte cher à Oscar Wilde : on se ridiculise à être profond.
Une des grandes originalités qui fait que Sheeper reste étonnamment moderne est sa composition. L'ouvrage est conçu comme un film avec ses scènes visuelles, ses flash-back et ses rebondissements.
Sheeper est l'ancêtre de tous les films malotrus (à ne pas mettre devant tous les yeux) : ceux de John Waters avec son héros travesti Divine et plus récemment du délirant Mary à tout prix (1998) des frères Farrelly avec Cameron Diaz, Ben Stiller et Matt Dillon.