Résumé
New York University, Département d'Anglais
À dix-neuf ans, l'amour était un poème. Un recueil de Rilke, relié de cuir souple, que l'on serre contre soi. Je croyais que la passion se lisait, s'écrivait, se déclamait. Je la cherchais dans les pages jaunies de la Bobst Library, pas dans l'obscurité qui rôde sous l'Arche de Washington Square.
Mais Aiden n'était pas un poème. Il était l'encre.
Il est arrivé à l'université au milieu de l'année, comme une tempête de décembre dans le gymnase. Le type de beauté brutale que les filles d'ici filles de sénateurs, filles d'éditeurs croyaient pouvoir apprivoiser avec des mots doux et des nuits sans sommeil. Elles se trompaient. Aiden n'avait rien de doux. Ses mains, aussi larges que le Washington Square, étaient faites pour agripper, pour retenir. Elles étaient l'antithèse de la délicatesse que je mettais dans chaque vers.
Il étudiait les Lettres pour une raison que personne ne comprenait, surtout pas lui. Il lisait la poésie comme s'il cherchait une faille dans le texte, une faiblesse qu'il pourrait exploiter. Et moi, Liscia, amoureuse des robes légères et de la vulnérabilité des mots, j'étais sa lecture préférée.
Je me souviens de la première fois où il a posé ses yeux sur ma vulnérabilité. C'était lors d'une lecture de poésie tardive, au sous-sol d'un café crasseux de Bleecker Street. Je lisais un texte sur le désir et la destruction, murmurant mes métaphores sur les cordes vocales rompues. Quand j'ai relevé les yeux, tous les visages étaient flous, sauf le sien.
Aiden, adossé à l'encadrement de la porte. Le poing serré, la mâchoire dure. Il ne souriait pas. Il ne m'acclamait pas. Il me dévorait.
Et j'ai compris, avant même qu'il ne prononce le premier mot qui déchira ma belle illusion :
Ce n'était pas l'amour que je cherchais. C'était le danger. Un danger qui portait le nom d'Aiden, et qui avait trouvé la seule faiblesse que j'avais cachée : la nécessité absolue d'être brisée pour pouvoir, enfin, écrire un chef-d'oeuvre.
J'aurais dû fuir.
Mais comment s'éloigner de l'homme dont chaque toucher, même le plus cruel, semblait imprimer sur ma peau les vers d'un poème que seule sa main était capable de finir ?
Il a mis ses mains sur ma poésie. Et ce fut le début de l'enfer. Un enfer délicieusement personnel.