En terre nucléaire

Comment parler de son pays lorsqu'il n'est plus le nôtre depuis longtemps ? En 50 ans le Nord-Cotentin, cette presqu'île perdue laissée aux vents est devenue la presqu'île au nucléaire avec ses sous-marins atomiques à Cherbourg, ses déchets immergés au large dans la Manche, son usine de retraitement de combustible à La Hague, sa centrale nucléaire, ses déchets stockés, ses transports de déchets et de Plutonium, ses lignes très haute tension, ses laboratoires et ses centres de formation. Avec le temps, vies et paysages se sont modifiés. Aujourd'hui, rien ne se parle plus, tout se chuchote à l'ombre d'installations qui crachent chaque jour une mort invisible et où rode la menace nucléaire. A la beauté des paysages abîmés par l'industrie, le nucléaire a apporté des compensations : l'argent et l'emploi. Et chacun est soudainement devenu spectateur d'un macabre monde comptable où s'évaluent les coûts et les bénéfices du nucléaire : un stade, un excès de leucémies infantiles ; une médiathèque, des travailleurs contaminés... Et c'est ainsi que se déploie tout ce qui contribue à faire oublier la menace permanente pour continuer à vivre ici. Car ce n'est pas une catastrophe exceptionnelle comme Fukushima, Tchernobyl ou Kyshtym qui se vit ici, c'est un quotidien sous contrainte nucléaire. C'est ce que nucléariser veut dire : propager soumission et silence et réduire drastiquement l'exercice de notre liberté. En terre nucléaire revient sur cette histoire : le silence de l'implantation, les oppositions oubliées qui y ont vu le jour, la construction d'une terre entièrement nucléarisée et le silence qui s'y impose insidieusement.