
Kateb yacine, le coeur entre les dents
Benamar Mediène
Résumé
Homme de plume et homme de combat, Kateb Yacine (1929-1989) est une figure intellectuelle incontournable de l'après-guerre.
28 octobre 1989, dans la chambre ardente de l'hôpital de Grenoble, Bénamar Mediene vient se recueillir sur la dépouille de son ami, le poète Kateb Yacine. En guise de dernier hommage, il porte au défunt une simple feuille de platane ramassée dans la cour. Les milles nervures de la feuille lui rappellent aussitôt un poème de Kateb Yacine. Le voyage des souvenirs à travers la vie vécue et la vie rêvée, soit l'engagement et la littérature, commence. L'auteur se souvient que Kateb Yacine fut tout au long de sa vie un insurgé perpétuel. Très jeune, encore lycéen, il fut emprisonné dans les geôles algéroises pour opposition au régime. Plus tard, dès ses premiers écrits, les anathèmes des muftis et, à une autre époque, ceux du FIS sont lancés contre lui. Yacine se moque de la religion, blasphème, chante haut et fort les plaisirs de la vie, exhale le droit à la liberté individuelle. Yacine dérange. Une fatwa est lancée contre lui qui le contraint à l'exil. À Paris, Yacine se lie d'amitié avec certains des plus grands esprits de son temps, tels que Sartre et Vitez. Plus que jamais actif et engagé, collaborant à des revues, fondant un journal, Kateb Yacine poursuit son combat. Au théâtre, il tourne en ridicule tous les totalitarismes dans Le Cadavre encerclé (1954) pendant que Nedjma, son premier roman, est unanimement salué par la critique. Sous le personnage de Nedjma, la femme libre aux quatre amants, Yacine invente un personnage libre en quête d'identité. L'Algérie, comme Nedjma, s'émancipe des tutelles. Rompant à loisir le fil du récit chronologique, Bénamar Medienne livre un témoignage émouvant sur l'homme que fut Yacine. Lors de leurs promenades nocturnes à Paris et à Oran, sont retranscrits, sous forme de dialogues, leurs propos inspirés. C'est tout à coup la parole vibrante de Yacine qui est y ressuscitée. L'auteur saisit sur le vif le portrait d'un homme attachant, habité par le Verbe, chérissant plus que tout l'amitié et l'amour : "un poète au cœur du monde".
Sommaire
L'enterrement de Yacine ressemble à sa vie.Étrange et surréaliste enterrement en ce premier novembre 1989. Il subvertit de manière inattendue ce qui devrait être une fête, depuis longtemps amputée de sa part populaire et joyeuse, lui donnant, pourtant, une ampleur inattendue, dénuée de tout pathos et de tout vacarme. Une foule innombrable, oued en crue, grossi de renforts surgis de partout, multitude de femmes et d'hommes venus du voisinage et du plus lointain des ailleurs, affluent vers le centre familial de Ben Aknoun où le catafalque de Yacine a été déposé, au seuil du petit pavillon que des amis du ministère du Travail lui avaient attribué. Dès l'aube, encore grise d'un brouillard cotonneux, des groupes de femmes, d'adolescents, d'hommes se forment dans les allées et, d'heure en heure les débordent, les saturent. Le boulevard extérieur est occupé par des centaines de véhicules, des milliers de personnes, bien au-delà de la portée du regard. Le cortège funèbre, submergé par sa propre puissance émotionnelle, est désordonné. Incapables de la contenir, femmes et hommes la convertissent en chants rythmés par les karkabous (longues castagnettes en fer), les zornas (clarinettes en bambou), les bendirs (percussions), les trompettes, guitares et autres tambourins... Un chœur populaire entonne l'Internationale en français, la reprend en tamazight, puis Min-Jibalina, notre chant des partisans, lui succède en arabe. Les youyous roulent, s'amplifient et donnent au difficile départ du convoi l'allure d'une procession festive d'un grand maoussem (fête confrérique).En pays d'islam, par tradition, l'enterrement est exclusivement affaire d'hommes. C'est seulement le lendemain que les femmes peuvent se rendre au cimetière pour se recueillir sur la tombe du disparu et l'arroser d'une cruche d'eau.Le rôle des femmes est de rester à la maison du défunt ; de former le chœur des pleureuses se lacérant le visage et la poitrine en élevant leurs lamentations vers le ciel. Le seuil de la maison du mort est la dernière limite à ne pas franchir. Elles doivent rouler le couscous, tenir le feu et préparer le repas de l'Absent. Ce jour de l'enterrement de Yacine, ce jour de premier novembre, décidément peu orthodoxe, des Algériennes refusent d'être tragédiennes de figuration. Elles seront debout sur le front du refus. " Lisez Aristophane ! " leur lance la voix de Yacine, surgie de l'invisible. Et Aristophane leur envoie du renfort. Lysistrata en personne apparaît drapée d'un voile noir constantinois. Elle s'empare de la tribune et leur dit : " Les guerres que se font les hommes entre eux sont inutiles, puisque infiniment recommencées, et injustes, car générant la mort, les souffrances, la misère et les deuils ; les guerres qu'ils font aux femmes sont stupides et lâches. Lâches, tout simplement ! Ils font de nous des ventres à fabriquer des petits guerriers ou des petits croyants ! Mes compatriotes athéniennes et moi, avons, vous le savez, fait la grève du sexe pour arrêter les tueries entre Athéniens et Lacédémoniens. Si vous faites la guerre, messieurs nos maris, vous ne ferez pas l'amour. Nos ventres ne sont pas le réceptacle de vos étreintes de soudards. Nous ne voulons plus être le repos de la brute guerrière, mais nous acceptons avec joie de partager la couche du paysan fourbu, du forgeron en sueur, du sculpteur dépressif. Ce ne sont pas les hippies qui ont inventé le mot d'ordre " Faites l'amour, pas la guerre ! ", c'est moi, Lysistrata d'Athènes, et il y a de cela plus de vingt-quatre siècles ! Les écrits restent après la parole envolée. Aristophane, le témoin de notre révolte, a tout consigné et m'a fait l'honneur de donner mon nom à son œuvre. Alors, soyez les Antigone et les Lysistrata d'Alger. Pas de deuil à huis clos ! Ne pleurez plus en assemblée féminine. N'abdiquez pas de votre droit de vivre, en couple, un malheur, un deuil ou une joie; d'être auprès de votre cher disparu au moment de sa mise en terre et de tenir la main de votre mari, de votre amant ou de votre voisin. Enterrez en couple, comme vous vous promenez en couple, comme vous câlinez en couple. Sinon, faites la grève des pleurs, des lamentations, de la cuisine, de la couche et des enfantements répétitifs ! Souvenez-vous, Antigone est des nôtres ! "
Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Robert Laffont |
Auteur(s) | Benamar Mediène |
Parution | 05/10/2006 |
Nb. de pages | 343 |
Format | 15.6 x 24.1 |
Couverture | Broché |
Poids | 532g |
EAN13 | 9782221107331 |
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