La pensee religieuse de montaigne

Actuellement, pour les uns, Montaigne est un chrétien comme furent certains humanistes, Ronsard en particulier. Il a cru aux articles du « Credo » catholique, il s'est acquitté des pratiques imposées par l'Église Romaine ; mais ayant donné à la religion une part de ses pensées et de ses moments, pour le reste, il a vécu et senti en païen : le sentiment religieux ne l'a pas pénétré.
Pour d'autres critiques, le sentiment religieux ne l'a même pas touché. Il se conduit comme il voit faire autour de lui, parce qu'il serait dangereux de se conduire autrement ; mais d'esprit et de cœur, il n'est pas chrétien. Et même, autant que la prudence le permet, il combat la religion par ses actes et par ses écrits. Montaigne a été l'ennemi couvert de la religion chrétienne. En ces derniers temps, cette opinion a été soutenue, surtout par le Dr Armaingaud.
Enfin, une troisième opinion représente Montaigne comme un chrétien, plus exactement comme un catholique de cœur et de conscience. Il existe une classe très nombreuse de croyants dont personne ne soupçonne la sincérité, mais qui mettent leur vie intime plus ou moins en accord avec la foi qu'ils professent et avec les pratiques qu'ils suivent. Ils sont d'ailleurs très différents les uns des autres par le caractère et la vie : Montaigne serait quelqu'un de ces chrétiens-là.
Dans les pages qui vont suivre, on essaiera de dire quel fut son « christianisme ». Le plan de ce travail est simple. Puisque les textes se sont prêtés à des interprétations diverses, dans ce débat autour de la religion de Montaigne, il a semblé prudent et convenable, d'aller non pas du texte aux actes et à la pensée ; mais de procéder à l'inverse et d'aller de l'extérieur vers l'intérieur, du plus connu au moins connu, de serrer enfin notre homme de plus en plus près, de manière à pénétrer peu à peu en sa personnalité, aussi avant qu'il le permettra.
Dans les quatre livres que cette étude comprendra, on verra successivement Montaigne se former, vivre avec les autres, puis organiser sa vie intellectuelle et morale, enfin se préparer à mourir. Pour contrôler les impressions qui se seront dégagées de cette enquête, dans les derniers chapitres, nous demanderons à ses contemporains de nous dire ce qu'ils ont pensé de lui et de nous apprendre comment s'est faite, - ou perdue, - peu à peu, sa réputation