La possession de morzine

C'est une histoire qui se passe au mitan du XIXe siècle, dans le haut d'une vallée de Haute-Savoie qu'on appelle tantôt vallée de Morzine, tantôt vallée de la Dranse de Morzine, et qui se nomme aujourd'hui le Val d'Aulps. C'est une histoire qui, à l'époque, fit grand bruit. En 1870, Pierre Larousse ne lui consacre-t-il pas deux colonnes de son Grand Dictionnaire Universel ? En fait, une histoire qu'on a oubliée. Ou qu'on a voulu oublier. Qu'on a réussi à occulter. Et qui resurgit au hasard d'une conversation comme au détour d'un livre. Car c'est une histoire à dormir debout. Une histoire de gens qui n'en font qu'à leur tête. De gens qui se rient des sentiers les plus escarpés et dégringolent des arbres la tête en bas. Pour tout dire, une histoire de fous. Plus exactement, une histoire de folles. Et c'est bien plus inquiétant. Que ce soit des femmes qui occupent le devant de la scène confère immédiatement à cette histoire un aspect étrange, mystérieux, comme le sont ces créatures qui, depuis la nuit des temps, s'ingénient à venir troubler le cours paisible de la vie des hommes. Les femmes ? Des créatures du diable, ne dit-on pas ? Justement, oh horreur ! C'est une histoire de diables ! Car ces femmes se sont dites "saisies par le démon". Leur histoire sera donc l'histoire d'une Possession, celle des Possédées de Morzine. Une histoire trop longue et très pénible, toute de cris et de chuchotements. Qui se déploie dans les hurlements, les vociférations, l'insulte et le blasphème. Dans les torsions et les contorsions. Une histoire qui stupéfie et qui scandalise. Une histoire qui se colporte ou se transmet, charriant son lot de terreurs enfouies, de désirs refoulés, de peurs paniques et d'effrois glacés; d'horreurs mal dissimulées, inavouables. Une histoire dont on a honte !