Le "theophrastus redivivus", érudition et combat antireligieux au xviie siècle

Comment, au siècle de Louis XIV, faire entendre sur le thème de la religion une voix qui n'aille pas dans le sens de l'orthodoxie ? Le Theophrastus redivivus, imposant manuscrit rédigé en latin vers 1659 par un auteur resté anonyme, apporte une réponse originale à cette question. Il constitue aujourd'hui le témoignage, unique dans sa radicalité, d'un effort commun à ceux que l'on peut qualifier de libertins : faire exister un espace de liberté par la contestation des vérités communément admises ou imposées, au premier rang desquelles les croyances religieuses. Au fil de six traités, le Theophrastus redivivus expose les éléments d'un matérialisme athée sans concession. Utilisant surtout les œuvres de l'Antiquité et de la Renaissance, sa technique de référence et de citation vise à faire apparaître leur potentiel antireligieux. Or l'ouvrage est marqué par une tension interne, inhérente à son dessein polémique. D'un côté les arguments de la religion sont rejetés comme fatras d'opinions au nom d'une raison qui est la voix de la nature et parle à travers les sens et l'expérience ; de l'autre le discours de l'anonyme est de part en part constitué d'opinions philosophiques, et sa crédibilité repose sur l'utilisation massive d'un principe d'autorité que par ailleurs il condamne sans appel. Le décalage entre les options théoriques et leur mise en œuvre textuelle fait du Theophrastus redivivus un ouvrage révélateur à la fois d'une argumentation exceptionnellement vigoureuse contre la pensée religieuse, et des apories du naturalisme qu'il y substitue.