Saintré

Il est assez paradoxal de constater que Saintré, un des fleurons de la littérature narrative du XVe siècle, n'est pas l'œuvre d'un clerc : Antoine de La Sale l'écrit à la fin d'une vie consacrée au service des armes et au préceptorat. L'œuvre - que son auteur ne qualifie jamais de «roman» - n'est pas d'une lecture très aisée. Ecrite dans une langue souvent rugueuse, elle n'est pas exempte de longueurs. Elle est cependant d'une grande richesse d'inspiration et, par certains côtés, d'une facture déjà moderne. C'est, d'abord, un «roman d'apprentissage», le récit de l'éducation d'un jeune page et des «expériences» successives qui vont faire de lui, à la fin de l'œuvre, le chevalier par excellence, le nouveau Lancelot. C'est aussi l'histoire d'une femme qui veut créer, de ses mains, un chevalier parfait, mais qui s'éprend de lui dans un amour impossible, qui ne peut que s'achever sur un échec dramatique. C'est enfin la mise en scène d'une réflexion pertinente sur le devenir d'une société qui reste désespérément fidèle à un idéal d'un autre âge, le culte de la prouesse et de la courtoisie, fondement d'une civilisation qui fut brillante, et, refusant de changer avec son temps, se voit condamnée à un inéluctable déclin, annonce de sa fin. Esprit lucide et doué d'un solide sens de l'ironie et de la dérision, La Sale nous a laissé, avec Saintré, une œuvre qui est un irremplaçable témoignage sur son temps. Mais la vérité, finement observée, des individus, l'art de suggérer en quelques traits - juste compensation de trop longues descriptions - la vie de toute une société, l'ironie, enfin, avec laquelle l'auteur exprime sa propre amertume, font aussi de Saintré une œuvre qui a sa place parmi nos premiers «classiques».