Techniques de mesure dans les écoulements

Lorsqu'on vit a l'age de l'informatique, les problemes poses par les mesures en Mecanique et plus particulierement dans les- ecoulements de fluides mono ou polyphasiques, peuvent sembler parfaitement desuets et denues de tout interet pratique. Beaucoup pensent meme, specialement en France, que les equations generales du mouvement des milieux continus ou meme discontinus etant definitivement etablies ainsi que les conditions initiales et les conditions aux frontieres qui definissent un ecoulement, les problemes correspondants ne sont plus du domaine de la physique mais uniquement du domaine des mathematiques ou a la rigueur de l'informatique. Il est probable que cette opinion sera justifiee dans un avenir plus ou moins eloigne mais actuellement il est encore indispensable d'effectuer de tres nombreuses mesures avant d'atteindre l'age d'or ou l'ingenieur n'aura plus besoin que d'un ordinateur pour resoudre tous les problemes d'ecoulement qui lui seront poses.

Je voudrais rappeler a ce propos que l'attitude fondamentalement cartesienne de l'esprit francais a nui pendant la premiere moitie du 20e siecle au, developpement harmonieux de la Mecanique des Fluides dans notre pays. Tandis que nos theoriciens etudiaient surtout les ecoulements de fluides parfaits a potentiel des vitesses, motives du reste par As applications aeronautiques, l'Ecole de Prandtl developpait la theorie de la couche limite. les hypotheses de base de cette theorie etant plus ou moins intuitives et fondees sur l'observation et l'experience, presque personne en France ne s'interessa vraiment a ces questions jusqu'a ce que les idees de Prandtl recoivent une confirmation theorique parfaitement rationnelle dans le cas des ecoulements laminaires. Il a fallu attendre pour cela environ 50 ans et pendant cette periode d'innombrables travaux experimentaux effectues partout dans le monde nous ont heureusement fourni des resultats numeriques suffisants pour pouvoir effectuer actuellement tous les calculs de couche limite sur ordinateur. En conservant une attitude strictement cartesienne la Mecanique des Fluides n'aurait donc pas progresse pendant un demi-siecle.

J'ai cite l'exemple de la couche limite car il caracterise bien ce que j'entends par "developpement harmonieux de la "Mecanique des fluides" et je vais essayer de le preciser.

Dans le domaine des ecoulements, les problemes qui se posent a l'ingenieur sont presque toujours beaucoup trop complexes pour etre traites par une voie entierement theorIque. Il faut schematiser la realite de facon a pouvoir etablir un modele mathematique que l'on soit capable de traiter par le calcul avec les moyens dont on dispose. Cette schematisation s'effectue a partir de resultats experimentaux qui conduisent a des simplifications dans les equations generales. Il faut ensuite verifier par des mesures les resultats du calcul. c'est-a-dire la validite du modele et par consequent la theorie et l'experience sont intimement liees. Lorsque la theorie bute sur une difficulte insurmontable, dans l'etat des connaissances du moment, on a recours a l'experience pour tourner cette difficulte et parvenir coute que coute a la solution pratique du probleme.

Cette progression de la Mecanique des Fluides, que j'appelle harmonieuse, au cours de laquelle la theorie et l'experience jouent des r8les inseparables et essentiels conduit a distinguer a l'heure actuelle, du point de vue des mesures, trois categories d'ecoulements

1. les ecoulements laminaires definis par des conditions aux frontieres permanentes ou non permanentes de fluides newtoniens.
2. les ecoulements laminaires de fluides non newtoniens.
3. les ecoulements de type aleatoire.

Les ecoulements de la premiere categorie peuvent tous etre traites soit analytiquement soit par le calcul numerique et les problemes qu'ils posent sont en fait des problemes de mathematique ou d'informatique. Les mesures jouent, dans cette categorie d'ecoulements, un r8le accessoire et ne servent eventuellement qu'a verifier qu'une simplification, introduite pour adapter le calcul a la capacite de l'ordinateur est justifiee.

Les ecoulements de la deuxieme categorie exigent encore un gros effort experimental et posent par consequent des problemes de mesure qui seront exposes au cours de ce cycle de conference. Je signalerai simplement que les lois de comportement des fluides non newtoniens industriels ne sont pas encore bien connues et le but-des experiences sur les ecoulements de la deuxieme categorie est de determiner ces lois. Pour un fluide donne, on change les conditions aux frontieres et les conditions initiales et a partir de mesures de pressions et de vitesses (souvent difficiles a interpreter), on tente de remonter aux lois de comportement en s'appuyant sur une etude theorique de l'ecoulement.

La 3e categorie couvre en realite la quasi totalite des ecoulements industriels Ces ecoulements sont a la fois non permanents et de type aleatoire et les difficultes de mesure que l'on rencontre dans ces ecoulements sont liees a ces deux caracteres essentiels.