A l'encre des songes

« Tout proche et difficile à saisir , le dieu » constate avec une sorte d'émotion chagrine et ô combien fondée l'admirable Hölderlin. Mais c'est d'abord pour cela, en raison de l'impossibilité d'accéder jamais à un absolu pourtant affleurant, presque à portée de main, que la poésie continue d'avoir droit de cité parmi nous. Notre statut sur ce globe serait-il plus clair , plus établi, plus explicite que la Muse consacrée, et par extension toutes les autres formes de l'écrit, ne se trouveraient sûrement pas dans l'obligation de recourir à leur vieux moulin semeur d'images et de mots...

Avec ses morceaux choisis et composés, selon sa volonté, avec « A l'encre des songes », Marc Giudicelli nous convainc précisément de l'importance du témoignage poétique. Il s'y emploie avec une humeur teintée de nostalgie  : « Ses yeux songeurs ont déjà levé l'ancre », mais aussi infusée d'un Eros badin  : « Il me plaisait d'imaginer ta robe de jonquilles », tandis que parfois, au détour d'une page, l'ouverture en direction d'un plus vaste se dote d'une très belle fulguration  : « La nuit boréale couvre de son châle les épaules engourdies de la terre », ou enfin culminant sous l'aspect d'un texte court et ciselé comme « Là-bas ».

Une demeure, un paysage, une croisée derrière laquelle danse une ombre, sans oublier l'amour sur fond de temps qui passe ou de temps épuisé, constituent les thèmes de ce riche recueil dont on remarquera d'ailleurs que le souci premier est d'établir un lieu, un pont étroit mais solide entre le fébrile aujourd'hui et le cher autrefois. Afin que le courage d'exister dispose toujours en nous, vis-à-vis d'une houle soudaine, d'un lieu d'appui, de pause et de ressourcement. Mais n'est-ce pas en l'occurrence la mission du vrai poète ? Soit donner à voir , à rêver et à méditer pour que chacun , tel un digne soldat du vivre, puisse avancer debout sur le rude damier des âges.