Résumé
Pourquoi Don Juan continue-t-il de nous attirer ? Nous devrions nous interroger sans doute davantage sur ce que son comportement nous révèle de nous-mêmes, d'un point de vue culturel. Le personnage naît au début du XVIIe siècle. C'est alors un criminel, ou à tout le moins un abuseur, un menteur, un trompeur. Ses actes mettent en péril l'ordre établi. Il menace la société. Lâche, manipulateur, méchant les adjectifs abondent pour le définir. Le XVIIIe siècle peaufine ce portrait en y ajoutant l'hypocrisie et le cynisme mais le transforme aussi en étrange héros. Il incarne l'individu libre face à la société, l'exploit, l'expérimentation, l'épanouissement, l'apothéose du sujet. C'est là son apogée. Le XIXe siècle met en scène son vieillissement et son déclin. C'est un bourgeois fatigué par la vie, un homme de déboires, un être hanté par le désir inassouvi. Le XXe siècle le ridiculise sans pourtant l'anéantir. Ses épaules croulent sous le poids du passé, son rire est devenu malaise, c'est un triste sire à la dérive, un malade un cas dont la psychanalyse s'empare. Il ne menace plus : la religion ne structure plus l'existence, la dette est l'ordinaire du capitalisme, procréation et plaisir sexuel sont dissociés, l'adultère amuse, l'honneur revêt un charme désuet. Entreprise individuelle de transgression, Don Juan agit en révélateur. Du point de vue épistémologique ici adopté, le personnage expose en négatif l'ordre chrétien qui l'a produit. Lisez-le à l'envers et vous verrez s'affirmer, mis à nu, quelques uns des plus grands principes de la société occidentale du deuxième millénaire : croire en Dieu, épouser une fois, proscrire l'adultère, respecter la parole donnée, payer ses dettes, redouter la mort. Ce livre tente de mettre à jour le socle commun à ces valeurs qui en sous main, préside à l'architecture dont elles sont les pièces maîtresses. Don Juan ne les affirme pas il les nie. En cela il nous renseigne sur nous-mêmes. L'observer revient à regarder notre culture dans un miroir. Extrait de l'introduction