Geneses, n° 118 (2020-1)

Depuis plus d'un an, les soulèvements des Gilets jaunes ont bouleversé non seulement le paysage politique, mais pour nombre d'entre nous les manières de voir et de faire la politique. Cette expérience a été transformatrice des manières d'appréhender les mouvements sociaux, à l'échelle de notre pays et au-delà. Aujourd'hui, il nous semble crucial de nous emparer de la grève comme temps arraché au quotidien de nos métiers pour faire vivre les liens collectifs, refuser la mise en concurrence de tou·tes et de chacun·e, et préserver des espaces collectifs où la pensée peut se déployer. Au fil des articles de ce numéro spécial « En grève », on se souviendra : que la mise en place d'un système de retraite d'inspiration égalitaire a été gagnée au prix de vifs combats sociaux, à la fois politiques et intellectuels ; que les attaques menées contre cet acquis historique se sont radicalisées ces dernières années, dans le cadre de politiques toujours plus violentes, ayant bien sûr concerné, entre autres, l'Université et la recherche ; que les idéaux de protection et de production collectives se voient aujourd'hui bradés jusqu'à l'absurde, au nom de fictions proprement antisociales, comme l'entreprise de soi, la vie en-réseau-et-par-projet, et le comptage bureaucratique généralisé Mais on se rappellera aussi quelques manières de résister à cette version insupportable du monde social : la grève, donc, comme rupture efficace, autorisant le dépassement des frontières sociales, en dépit des stratégies de division et de stigmatisation ; le blocage et l'occupation, « comme vecteur et comme média de la lutte » ; l'analyse critique empiriquement informée, comme fondement raisonné des refus, et comme source d'invention de nouveaux possibles sociaux.