Patron, une cuite s'il vous plaît !

C'était il y a longtemps. Il y avait déjà la télé, mais pas encore Canal plus. A cette époque, je publiais les meilleurs dessinateurs du monde dans un journal qui s'appelait "Charlie Mensuel ". Un jour, un petit moustachu est venu me présenter son carton. Il signait : " Schlingo ". " Charlie Schlingo ". Il hésitait entre crever de faim en faisant des boulots merdiques, ou crever de faim en dessinant des conneries. Je lui ai parlé comme à un fils. " Petit, il faut que tu travailles pour devenir un vrai professionnel comme Sempé, et moi, et porter des pulls en cachemire. Petit, ça ne suffit pas d'avoir du talent. Il faut aussi avoir la classe. Et la classe, c'est un métier. Il faut au moins dix ans pour avoir la classe ". Il m'écoutait sagement, en me regardant avec admiration. J'ai publié ses dessins parce qu'ils faisaient rire le professeur Thoron. Encouragé par mes conseils, Schlingo a quitté l'usine où il faisait le prolo, et où il ne pouvait dessiner que le soir, pour devenir dessinateur, et boire toute la journée. Parfois, en descendant de ma Jaguar, je le voyais écroulé sur le trottoir d'en face gueulent en agitant sa main : " Wolinski, plus que cinq ans pour avoir la classe... plus que deux ans... " Les dix ans ont passé. Schlingo est devenu un maître. Aujourd'hui, il fait rire même les femmes ! Avec le troisième millénaire, commencent les années Schlingo. " Patron, une cuite s'il vous plaît". Wolinski